Cet article est écrit par la rédaction de La Tigre di Carta pour le numéro de 2018, sur La nuit, de la revue française de philosophie Opium Philosophie.
Je voudrais mettre l’accent sur une question un peu bizarre, pour découvrir laquelle on doit retourner en arrière à travers les siècles, ou pour mieux dire les millénaires, jusqu’à l’origine du monde tel qu’elle s’explique dans de nombreuses religions et dans leurs cosmogonies, ou doctrines de la création de l’univers.
Pour redécouvrir les échos mythiques de la naissance de la nuit nous parcourons les pages de la Théogonie d’Hésiode, surtout là où le poète grec a tracé une différence entre deux divinités qui se réfèrent à autant de concepts : d’un côté Nux (Nύξ), qui est à tous égards la nuit, le sujet de nos discours ; et de l’autre côté Erebos (Ἔρεβος), l’enfer, le chaos primordial ou, pour être plus précis, l’obscurité totale[1]. Comparée à cette obscurité, la Nux serait plutôt la sombre, quelque chose qui se trouve dans un clair-obscur ; et il n’est pas un coïncidence si paradoxalement c’est grâce à leur union pour ainsi dire incestueuse – Nux et Erebos sont frères – qu’est générée une troisième divinité très importante, à son tour, pour ce que nous voulons souligner : Emera (Ἠμἐρα), le jour.
À partir de ce rapport mythologique nous gagnons l’image d’une nuit qui ne coïncide pas avec tout ce qui n’est pas la lumière ; et sous le même point de vue cette liaison est également décrite dans la Genèse, au début de l’Ancien Testament. Ici, en effet, si avant « l’obscurité couvrait l’abîme »[2], le même acte de la séparation entre le ciel et la terre par Dieu a lieu entre la nuit e le jour, à partir de l’obscurité totale et originale dans laquelle tous les entités étaient mélangés ensemble, sans aucune possibilité de distinction entre eux, comme dans la critique de Hegel sur Schelling.
Cette dynamique n’est pas une prérogative de la tradition gréco-latine, ou judéo-chrétienne. Quelque chose de pareil se trouve aussi dans l’Edda, les textes de la mythologie nordique, dans la figure du Nótt, divinité féminine qui, comme Nux, va en mariage à Naglfari, appelé “l’obscurcissement”, et plus tard – avec Dellingr, le dieu du printemps – va donner naissance a Dagr, le jour[3] Un autre exemple se trouve dans le Rg Veda, les textes sacrés védiques, où au commencement il n’y avait que « l’obscurité cachée par les ténèbres » et suivant la création du cosmos nous trouvons la nuit (rātriḥ) qui, comme divinité, mérite un hymne dédié à elle (x, 127) dans lequel elle assume la tâche de chasser les ténèbres avec sa lumière[4].
Ce que je veux “clarifier” avec ces exemples est juste ceci : dans les anciens récits cosmogoniques il y a une intuition qui peut peut-être nous aider à ne plus considérer la nuit le contraire du jour, mais plutôt comme son contradictoire – juste pour emprunter deux petit mots de la logique formelle – c’est-à-dire deux concepts qui, logiquement, ne peuvent pas être tous les deux vrais en même temps mais ne peuvent pas non plus être niés, car en ce faisant on reviendrait à ce chaos originel de l’obscurité pure et indistincte, sans nuit ni jour, dont nous venons de parler et dont l’humanité a essayé de s’échapper. En étant plutôt contradictoires, si l’un est refusé l’autre devient vrai et en effet la condition de clair-obscur logique dans laquelle ils se trouvent – des tons similaires au chef-d’œuvre de Magritte L’Empire des Lumières – coïncide parfaitement avec l’alternance réelle et diachronique entre le jour e la nuit, ainsi qu’entre les quatre saisons et tous les phénomènes cycliques qui ont inspiré non seulement la fantaisie mythique, mais aussi de nombreuses pensées philosophiques comprises dans le sens moderne.
Dans son De umbris idearum, Giordano Bruno disait: «L’ombre n’est pas l’obscurité, mais une trace d’obscurité dans la lumière ou trace de lumière dans l’obscurité, ou participant de la lumière et des ténèbres, ou composée, mélange d’amalgame de lumière et d’obscurité»[5].
Notes
[1] Esiodo, Teogonia, a cura di Graziano Arrighetti, Bur, Milano 2013, p. 71.
[2] Gen. 1:2.
[3] Snorri Sturluson, Edda, a cura di Giorgio Dolfini, Adelphi, Milano 2013, p. 59.
[4] Ṛg Veda. Le strofe della sapienza, a cura di Saverio Saini, Marsilio, Venezia 2000, p. 229.
[5] Giordano Bruno, De umbris idearum, Di Renzo Editore, Roma 2004, p. 33.